Déjà condamné récemment à de la prison ferme dans une affaire d’escroquerie, le député indélicat de l’UC, champion des affaires à tiroirs, vient d’entraîner dans son naufrage un haut cadre d’une grande banque de la place. A qui le tour ? Révélations.
L’affaire Sghir Babour, du nom du député UC très sulfureux condamné récemment à 5 ans de prison ferme et une amende de 450.000 DH dans un procès en escroquerie intenté par une personne physique (voir le Canard n° 675), vient de connaître un rebondissement spectaculaire pour le moins inattendu. Et pour cause…Le juge d’instruction près la Cour d’appel de Casablanca a décidé, lundi 28 mars, de mettre sous mandat de dépôt un haut responsable de BMCE-Bank Of Africa (BOA). L’arrestation de M.H. qui occupe le poste de directeur général délégué de la banque, en charge également du crédit et du recouvrement, a fait l’effet d’une bombe dans le microcosme financier national et fait vaciller la banque sur ses bases. La chute est dure pour un homme qui faisait partie des piliers du système Benjelloun. En apprenant la nouvelle, nombre de cadres, stupéfaits, n’en croyaient pas leurs oreilles.
Passé le moment de stupeur, les questions ont commencé à fuser pour comprendre les raisons qui lui ont valu de tomber dans les filets de la justice et tenter de percer le mystère de la relation qu’il entretenait avec le parlementaire indélicat qui a balancé d’autres complices, notamment un notaire de Settat, son fief electoral, et deux autres cadres de la banque. Dans le dossier en relation avec BOA qui a fini par le poursuivre en justice, Sghir Babor fait face à une série de charges : faux en écritures bancaires et de falsification de documents officiels à des fins frauduleuses de garanties financières, d’escroquerie et de destruction de biens et valeurs hypothéqués. Le personnage qui ne joue pas petit bras est fortement soupçonné d’avoir monté avec la complicité de M.H. Une vaste opération d’extorsion de fonds d’environ 300 millions de DH, habillée en divers prêts et autres facilités de caisses. Les fonds étaient débloqués au profit de ses sociétés dont une entreprise de distribution de carburants du nom de Sami Oil qui risque de faire parler d’elle dans les semaines à venir dans une affaire non moins scabreuse en relation avec la société de distribution de carburants et combustibles (SDCC) appartenant à la Samir en faillite. Là aussi, Babor a fait le plein pour des montants de plusieurs dizaines millions de DH avec la complicité d’anciens dirigeants de la société. Frauder à grande échelle oblige au partage.
«C’est comme des couscoussières, tout le monde se sert», avait expliqué Marco Mouly qui fait partie des artisans de la fameuse et ingénieuse escroquerie à la taxe carbone en France. Redoutable et irrésistible, Sghir Babor, qui arbore toujours un air sympa, est du genre à redistribuer l’argent détourné des autres en couvrant ceux qui lui facilitent la fraude de cadeaux de valeur, terrains agricoles, voitures de luxe et villas. C’est ce qui ressort de sa déposition devant la BNPJ où il a chargé le banquier flamboyant ainsi que deux autres cadres de BOA. En somme, on ne sort pas indemne de ses accointances avec Babor Sghir qui éclabousse tous ceux qu’il croise et acceptent de marcher dans ses entourloupes. Comme les pigeons, il est attiré par le blé. Pour lui, tout le monde a le droit de faire des bonnes affaires. Y compris les escrocs de son acabit.
Comme son nom ne l’indique pas, Sghir Babor (en dialectal il signifie ‘petit bateau’) est un véritable Titanic qui est en train d’entraîner dans son naufrage tous ceux qui ont cédé à ses tentations financières mirifiques mais ô combien dangereuses. L’homme à affaires qui croupit à la prison d’Oukacha depuis début mars est un spécialiste des affaires à tiroirs. L’affaire de BOA n’est certainement qu’un épisode qui en cache d’autres et qui risquent de tourner au feuilleton ramadanesque. A qui le tour ? Le Babor, qui plume tout ce qui bouge à bâbord ou à tribord, a commencé à faire des vagues et quelles vagues !
Un scandale et des questions…
Le conflit judiciaire BOA-Babor ne pouvait tomber au mauvais moment pour le président Othman Benjelloun. En plus de l’image de l’institution qui en prend un coup, le scandale Babor vient chahuter le « grand virage stratégique » qu’il s’apprêtait à faire prendre à son groupe bancaire (et ses holdings), qui a amorcé déjà une nouvelle phase de son histoire, qui se confond avec celle de son fondateur, marquée par nouvelle identité institutionnelle, déployée sous la dénomination O Capital Group.
Dans le landernau financier, certains s’interrogent néanmoins sur l’opportunité de l’explosion de la bombe Babor dans ce contexte très délicat pour le groupe bancaire, engagé dans des projets. Quelle lecture politique donner au choix, délibéré ou contraint, de laisser la justice suivre son cours ? Pourquoi le scandale n’a-t-il pas été étouffé comment on le sait le faire dans le milieu, s’interroge sous couvert de l’anonymat un vieux routier de la finance ? On voudrait fragiliser une banque en pleine métamorphose et qui cherche un nouveau destin pour poursuivre son aventure exceptionnelle qu’on ne s’y prendrait pas autrement… ?
Le complice présumé de Babor ayant poussé le bouchon trop loin selon ses patrons; l’affaire en question n’a-t-elle pas été jugée trop grave pour la passer par pertes et profits ? Mais ce n’est au fond qu’une histoire de risque de crédit ou de prêts « non performants » inhérente à l’activité bancaire… Sauf à considérer que l’affaire Babor n’est que la grosse goutte qui a fait déborder le vase des abus. A ce titre, elle a été perçue comme une opportunité à saisir, quitte à ce que la banque y laisse au passage quelques plumes en terme d’image, pour donner un puissant coup dans la fourmilière des puissants et pas toujours transparents comités de crédit qui usent parfois de diverses manœuvres pour s’enrichir aux dépens de leur institution. Les symboles de pratiques malsaines et de collusions bancaires avec des clients malintentionnés sont désormais avertis. L’impunité c’est fini ? Commentaire d’un proche du président : Othman Benjelloun en est conscient : la banque a besoin plus que jamais d’hommes fidèles et intègres qui ne dilapident pas leur crédit.