Le dérapage de Rida Benbrahim

Le tanker Nukar.

Poussé par l’appât du gain, ce milliardaire de Rabat, fort de solides appuis dans l’establishment, a obtenu toutes les facilités pour faire rentrer le carburant russe au Maroc. Sauf l’essentiel…

Pas besoin que les partis de l’opposition  constituent une commission d’enquête parlementaire sur l’affaire sulfureuse du gasoil russe. L’un des importateurs est désormais identifié et il s’appelle Rida Benbrahim, un milliardaire de Rabat multicartes (Immobilier, BTP, agriculture, hydrocarbures) connu dans les cercles du pouvoir de la capitale. C’est lui qui, qui  via son entreprise  BGI Petroleum, s’est mis en tête de faire venir au Maroc le carburant de Poutine réputé, embargo oblige,  70% moins cher que les cours mondiaux réglementaires et réaliser un superprofit. Ça sent l’aubaine, la fameuse hamza qui fait saliver… Après avoir été chargée à bord d’un navire battant pavillon panaméen du nom de Nukar qui a pris son départ le 20  mars du  port de Primorsk en Russie, la marchandise, comme le montre le document de connaissement maritime, a pour destination finale le port de Mohammedia. Sauf que  la cargaison d’environ  30.000 tonnes (Une affaire de 300 millions de DH environ),  consignée au Moyen-Orient, ne sera pas réceptionnée par  le commanditaire. Motif : les banques marocaines sollicitées par l’importateur ont refusé de prendre en charge le paiement du chargement. Par conséquent, le vendeur, la société GMS, ordonne au capitaine du navire de lever l’ancre.

La marchandise renvoyée à l’expéditeur ? Non, le tanker Nukar met le cap sur l’Algérie. C’est dommage, M. Benbrahim ne pourra pas approvisionner son petit réseau de stations-service Yoom qu’il  a racheté il y a quelques années auprès d’un personnage trouble.

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Le connaissement maritime relatif à la commande de BGI Petroleum.

Pour le moins déconcertante, cette transaction avortée appelle plusieurs questions. Pourquoi Rida Benbrahim a-t-il pris le risque de se lancer dans cette opération délicate  alors que le règlement de l’expéditeur via une lettre de crédit  n’a pas été sécurisé à l’avance? Avait-il reçu des assurances que le nécessaire serait fait une fois la commande arrivée au Maroc ? Rida Benbrahim n’est pas un homme d’affaires super-ordinaire. Preuve, il a réussi en prévision  de sa transaction  russe à se faire louer les capacités de la Samir sans mise en concurrence et sans qu’il justifie de références solides dans le secteur de la distribution. Il faut avoir le  bras long pour  obtenir une telle largesse ! « C’est le genre qui de par ses appuis  précieux dans l’establishment  compte dans son réseau relationnel  une kyrielle de personnalités influentes comme wali Bank-Al Maghrib Abdellatif Jouahri  ou la ministre de la Transition énergétique Leila Benali  qu’il peut appeler directement», croit savoir une connaissance. Mais dans ce dossier précis,  le pouvoir de  M. Jouahri est inopérant, quelle que soit l’origine des instructions potentielles.

Sociétés offshore

Le Maroc étant neutre dans le conflit russo-ukrainien,  rien n’interdit d’un point de vue légal  à une compagnie pétrolière nationale d’importer du carburant russe. Sauf que le système financier marocain ne le permet pas en raison de sa dépendance étroite,  quant au paiement de ses transactions, au réseau des banques européennes. Or l’UE a  interdit,  dans le cadre des sanctions contre le régime poutinien, de traiter avec la banque centrale de Russie  et les banques du pays  frappées de bannissement du système Swift. Seules les compagnies comme Vivo Energy (enseigne Shell) qui possèdent des sociétés offshore  au Moyen-Orient, par exemple, ont la possibilité de contourner l’embargo occidental. D’ailleurs, cette enseigne est la seule  à  importer du carburant russe et le commercialiser  dans son  réseau de distribution. Sans en faire pour autant profiter ses clients  côté prix à la pompe qui sont alignés sur la concurrence.

Les profits occultes sont plutôt  à chercher de ce côté-ci. Contrairement  aux fantasmes véhiculés par certains, le gasoil russe est moins cher à hauteur de 40 à 50 centimes par litre par rapport au prix réglementaire. Sur une cargaison de 30.000 tonnes, la plus-value se situerait autour de 15 millions de DH,  selon un expert du secteur. Le gasoil russe n’arrête  pas d’enflammer et d’alimenter les rumeurs les plus invraisemblables depuis que le Wall Street Journal a vendu la mèche en révélant dans son édition du 25 février que le Maroc a importé de Russie 2 millions de barils en janvier 2023  contre 600.000 pour l’ensemble de l’année 2022. Évidemment, la progression est stratosphérique et de tels volumes  laissent entendre que les produits pétroliers russes  bon marché  ont trouvé bien des débouchés sur le marché national. Leader du secteur, Afriquia n’arrête pas sur cette affaire  de cristalliser les critiques, voire les attaques. Tout en   démentant toute implication dans l’achat du diesel russe, l’entreprise a annoncé le 6 avril, par la voix de son directeur général Saïd El Baghdadi, sa  décision de poursuivre en justice les calomniateurs   pour « demander réparation pour le préjudice subi et pour l’atteinte à l’image de notre marque ». Quant à Rida Benbrahim, l’histoire ne dit pas si son spectaculaire  dérapage russe  retentissant va donner un coup d’accélérateur à sa disgrâce…

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