Chronique d’un désamour à Azemmour

Youssef Benamour a monté un projet de rêve qui a vite tourné au cauchemar pour les acquéreurs...

Azembay, ce projet estampillé écotouristique implanté dans la région d’El Jadida, qui a toutes les caractéristiques d’un écrin paradisiaque niché entre mer et verdure, a fini sa balade, à peine entamée, devant la justice. Révélations.

Le fondateur de la société de promotion immobilière Earth Résidences, Youssef Benamour, est en conflit ouvert avec le groupement des acquéreurs  de son programme résidentiel réalisé selon les modalités de la VEFA (vente en l’état futur d’achèvement) pour une jouissance dans le cadre de la Loi RIPT (résidences immobilières de promotion touristique) que le promoteur est accusé de piétiner comme un chiffon.

Résultat : la société de gestion du site , Earth Hospitality Sarl, vient de se faire retirer  la licence définitive  pour « manquement » à ses  engagements. La décision de retrait datée du 22 juillet a été signée par la ministre du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire Fatim-Zahra Ammor. Une décision dont l’exécution relève de la direction de la réglementation du développement et de la qualité et la délégation provinciale du tourisme d’El Jadida. Un coup dur pour l’image de ce haut lieu du tourisme propre et tranquille qui commençait à se faire une bonne réputation  auprès de certains prescripteurs de voyages étrangers… Au centre du litige figure son refus de boucler le processus par la signature du contrat de vente.  Dès lors, la relation entre les deux parties, qui était au début empreinte de cordialité et de respect, se dégrade petit à petit pour devenir tendue et pleine d’animosité. Devant les atermoiements de M. Benamour, les acheteurs ont fini par porter l’affaire devant la justice pour obtenir ce qu’ils réclament vainement depuis 2016 : la signature des actes de propriété. Droit légitime surtout qu’ils ont payé pour leur majorité la totalité du prix de leurs biens et que l’éclatement des titres est intervenu en 2019, soit avant la crise pandémique.

Et pourtant, « les membres du groupement des propriétaires ont contribué à la réalisation du site en tant qu’acquéreurs-investisseurs en prévision de la gestion locative réglementée », lit-on dans le communiqué de presse rendu public par les victimes du fondateur de Azembay. «Les acheteurs, conquis par le concept novateur du projet, formaient presque une seule famille, on s’invitait les uns chez les autres pour manger ensemble à la bonne franquette, même Youssef Benamour qui se montrait cool et chaleureux au début nous ouvrait les portes de sa villa sur le site », confie un client très déçu. Le grand amour. L’entente parfaite. C’est cette relation privilégiée entre les copropriétaires et le promoteur qui explique que les premiers, en leur qualité d’acquéreurs-investisseurs dans le cadre d’une gestion locative encadrée par la loi, ont procédé au règlement partiel ou intégral du montant de leurs résidences secondaires auprès du notaire de M. Benamour « parfois même au-delà des exigences de la Loi VEFA et sans que toutes les garanties que leur confère cette loi leur soient données ». Un autre acheteur explique : « C’est parce que nous voulions absolument que le projet Azembay qui est magnifique à tout point de vie soit une réussite ».

Azembay c’est en effet un écovillage de rêve, comme on en trouve très rarement ou pas du tout au Maroc, d’une capacité annoncée de 94 unités (dont seule 18 villas et une vingtaine d’appartements ont été livrés), bordé d’un côté par une plage splendide s’étirant sur près de 2 kilomètres et une forêt de 940 hectares de l’autre. Situé à 59 km au sud de Casablanca, le site relativement intact et protégé offre un cadre idéal pour des vacances écologiques et des retrouvailles en famille ou entre amis. C’est à son cachet «développement durable » que Azembay doit son agrément par les autorités d’El Jadida, à l’époque où Mouad Jamaï était le gouverneur de la ville. Nous sommes en 2017.

Refus légitime

Les permis d’habiter ont été délivrés. Profitant de cet état d’esprit, fait de confiance mutuelle, M. Benamour permet, à sa demande, au groupement d’acheteurs « de réceptionner leurs biens en jouissance ».  Contre l’obligation sujette à caution d’effectuer l’achat  de l’ameublement de base de leurs résidences auprès de la société de gestion Earth Hospitality, affiliée à son propre groupe, «le règlement et l’installation des compteurs d’électricité et, pour la plupart, la consignation des reliquats de paiement chez le notaire désigné». Or, le transfert de propriété n’a toujours pas lieu alors que le promoteur a obtenu une licence RIPT provisoire, et contre son engagement de délivrer les titres de propriétés aux copropriétaires avant le 31 octobre 2018, ces derniers lui donnent le feu vert pour amorcer, « sous son entière responsabilité au regard de la Loi RIPT», un « test d’exploitation locative ». D’après leurs dires, les acquéreurs refusent la proposition du patron de Azembay pour qu’ils signent de nouveau des « contrats de bail provisoires » pour l’année suivante, tant que les transferts de propriété- sans cesse réclamés et curieusement différés par M. Benamour- n’auront pas été effectifs. Refus légitime puisque l’autorisation du promoteur de louer les résidences sans l’établissement des actes de vente définitifs constitue une entorse à la Loi RIPT. Ce qui n’empêchera pas visiblement Youssef Benamour de mettre les résidences des acquéreurs en location. « Si, depuis 2019, le promoteur a continué à proposer à la location des biens, objets de compromis de vente non aboutis, c’est donc sous son entière responsabilité et sans l’assentiment des acquéreurs», lit-on dans le communiqué du groupement des acheteurs qui s’en lavent les mains. Dans ce qui ressemble à une fuite en avant, le dernier de la fratrie de Mohamed Benamour (le patron de HEM), décide d’ouvrir les hostilités et interdire depuis la fin de ramadan dernier aux acquéreurs l’accès à leurs propriétés en arguant de « travaux de réhabilitation du site ».

Un site qu’il continue pourtant à ouvrir, au mépris de la loi, à l’exploitation locative, via des campagnes de promotion sur les réseaux sociaux. « Le promoteur ne cherche à nous faire signer que des contrats de bail pour empocher les recettes au titre de la location et refuse d’entendre parler des contrats de vente », s’indigne un copropriétaire qui dénonce les agissements illégaux du propriétaire de Azembay. Celui-ci a par ailleurs menacé, via  la responsable de l’administration des ventes, ceux qu’il n’est pas loin de considérer comme une bande de subversifs qui ont osé réclamer leur droit de rupture de promesse de vente et de mise en réserve de leurs mobiliers et effets personnels. Rien que ça ! Un mail menaçant dont le Canard a mis la patte a aimablement informé un copropriétaire que son «accès » à son bien « ne sera plus accepté après la récupération» de son mobilier et à défaut « nous prendrons les mesures nécessaires à cet effet et vous ferons supporter les frais occasionnés».

Tant qu’à tenter de le déposséder abusivement de sa résidence qu’il a pourtant payée jusqu’au dernier centime, pourquoi ne pas lui réclamer des pénalités au titre de sa réclamation exagérée et énervante de son contrat de vente?… Ce n’est pas en fuyant ses responsabilités que Youssef Benamour sauvera son beau projet qu’il est en train de gâcher», estime un copropriétaire d’un certain âge qui dit avoir mis toutes ses économies dans Azembay. Le magnifique complexe de Benamour est manifestement victime de mauvaise gestion, la banque qui lui a fait confiance n’ayant toujours pas délivré les mains levées nécessaires. Entre-temps, une foultitude de fournisseurs impayés, qui ont participé à la construction du complexe, se sont manifestés pour faire opérer des saisies sur les titres parcellaires du projet.

La belle Azembay risque de virer au pataquès et au feuilleton judiciaire, sauf si le jeune et trop ambitieux promoteur assume ses responsabilités, paye ses créanciers et finalise les contrats de vente avec les acquéreurs.

Décidés à aller jusqu’au bout pour défendre leurs droits, cesderniers ont engagé une série de procédures judiciaires pour pouvoir accéder à leurs maisons et stopper la location de ces dernières pendant la saison estivale aux touristes nationaux et étrangers par M. Benamour et ses équipes.

« Fils de bonne famille, aux antipodes des escrocs de l’immobilier habituels, Youssef Benamour a péché à la fois par la folie des grandeurs et la cupidité puisqu’il s’est lancé dans la deuxième et la troisième tranche alors qu’il n’a pas complètement achevé la première», croit savoir un connaisseur du dossier. Qu’en pense le principal concerné, Youssef Benamour, de cette affaire troublante qui lui vaut un grand désamour à Azemmour? Refusant de répondre aux questions du Canard en mettant en avant la confidentialité des « procédures judiciaires en cours », il s’est contenté d’évoquer « un problème culturel (…) lié à la loi RIPT qui a obligé les acquéreurs à céder la jouissance à la Société de gestion et à ne profiter de leurs maisons quelques semaines par an ». C’est ce qu’on appelle botté en touche car le conflit ne porte pas sur la jouissance du bien ou sa durée – un aspect réglementé par la loi RIPT et auquel souscrivent pleinement les acheteurs – mais bel et bien sur le retard injustifié accusé dans la signature des contrats de vente. Un problème culturel ?

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